Guerre en Ukraine : à Kherson, figée dans l'attente, les deux camps se préparent à d'intenses combats
Les autorités d'occupation évoquent à la fois des évacuations de troupes et la volonté de défendre la ville. Les forces ukrainiennes s'attendent à des combats de rue violents, sans abandonner l'espoir de reprendre la ville avant l'hiver.
Plus aucun ferry, désormais, ne relie les deux rives du Dnipro. Les autorités d'occupation de la région de Kherson, dans le sud de l'Ukraine, ont annoncé la fin des navettes d'évacuation de la ville, mardi 8 novembre. La veille, Kirill Stremoussov, responsable adjoint des forces d'occupation, avait encore appelé le maximum d'habitants à "quitter" la ville, conquise par la Russie aux premiers jours de la guerre. Vendredi dernier, Vladimir Poutine avait lui-même déclaré que toute la population devait être évacuée. Avant cela, l'occupant russe avait fait part du transfert de 70 000 personnes sur la rive droite.
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Après des coupures d'électricité (provoquées par des frappes ukrainiennes, selon l'occupant), le courant a été partiellement restauré dans la ville. De son côté, Kiev assure que ces lignes ont été sectionnées par l'ennemi lui-même afin de contraindre les résidents à prendre le chemin des territoires russes. "L'approvisionnement en eau et chauffage a été rétabli, tout comme le système d'égouts", ont annoncé les autorités d'occupation, lundi, mais les travaux de réparation se poursuivent.
Des lignes défensives installées par la Russie
Alors que l'armée ukrainienne se rapproche à petits pas, localité par localité, la ville est toujours dans le statu quo. La communication sur les opérations en cours est désormais verrouillée, et les experts se perdent en conjectures sur l'imminence d'un assaut sur la capitale régionale. "A certains endroits, des équipements ennemis positionnés en colonne ont été remarqués", a déclaré Kirill Stremoussov. Peut-être fait-il référence à une vidéo apparue sur les réseaux sociaux, où s'étire un ruban de véhicules vert kaki.
Le Kremlin a déjà préparé des éléments de langage pour les propagandistes du régime, rapporte le site russe indépendant Meduza (lien en russe) qui a pu consulter les documents. La situation de Kherson est décrite comme "la plus difficile pour l'armée russe au stade actuel de l'opération spéciale".
En réponse à ces "préparatifs" ukrainiens, les forces russes affirment avoir transformé le secteur en vaste forteresse. En exploitant des images satellite, l'analyste Benjamin Pittet a notamment identifié trois lignes défensives sur la rive gauche du Dnipro. Dans ce système complexe de tranchées et de fortifications, parfois au bord du fleuve, parfois 15 km en retrait, des positions ont été aménagées pour permettre le stationnement de véhicules blindés de combat.
The Russians are currently building three lines of trenches and bunkers on the right side of the Dnieper. These defensive positions use natural and artificial barriers such as the Dnieper River and the numerous canals in the Kherson region.
— Benjamin Pittet (@COUPSURE) November 5, 2022
2/ pic.twitter.com/aHyhTR9J1b
Malgré les coupures internet, quelques rares images de la ville apparaissent sur les réseaux sociaux. Kherson apparaît déserte, comme abandonnée. Il y a dix jours, les administrations locales avaient déjà été réinstallées sur l'autre rive. Puis les forces de sécurité russes ont supprimé plusieurs points de contrôle, vendredi dernier, tandis que le drapeau russe était retiré du bâtiment de l'administration régionale. Certaines images montrent également des embarcations coulées par les Russes sur le fleuve – ce qui pourrait suggérer une volonté d'empêcher les forces ukrainiennes de franchir le Dnipro, après une éventuelle reconquête de Kherson.
Une situation militaire confuse dans la ville
Mais tout ceci est un piège, selon l'état-major ukrainien. Celui-ci affirme, au contraire, que l'armée russe a troqué le treillis pour des tenues de civil, s'installant dans des quartiers d'habitation tout en renforçant ses positions. Ce sentiment prévaut au sein des troupes. "Ce qu'on a mentionné dans la presse, qu'ils sont partis, ce sont des fake news", répondait un combattant ukrainien rencontré par franceinfo la semaine dernière. On va avoir des combats de rue, parce qu'ils ne veulent pas se retirer." De l'avis d'un responsable ukrainien, les affrontements seront violents : "La plus rude des batailles se déroulera à Kherson."
"L'ennemi essaie de nous convaincre qu'il quitte les zones peuplées en créant l'effet d'une évacuation totale (...) mais il peut s'agir de manœuvres militaires."
Nataliya Gumenyuk, porte-parole du commandement ukrainien dans le sud de l'Ukraineà la presse ukrainienne
Des informations contradictoires circulent sur les mouvements de troupes russes : certaines unités auraient quitté la ville, mais d'autres arriveraient en soutien. "Certaines unités d'élite russes, telles que les forces aéroportées et l'infanterie navale, continueraient d'opérer sur la rive droite (ouest) du fleuve Dnipro", soulignait début novembre (en anglais), l'Institute for the Study of War (ISW), un groupe d'experts américains. Par ailleurs, personne ne sait vraiment combien de personnes vivent toujours à Kherson. Certains médias ukrainiens affirment qu'ils seraient encore 70 000, contre 280 000 avant la guerre.
En attendant, les pillages se multiplient dans la ville. La directrice du musée Oleksiy-Shovkunenko a notamment accusé les forces russes d'avoir emporté tout ou partie de la collection d'œuvres d'art, entre le 31 octobre et le 3 novembre, et de les avoir transférées à Simferopol, en Crimée annexée. La dépouille du fondateur de la ville, Grigori Potemkine, a été emmenée, tout comme des statues. Les troupes russes transfèrent des "ambulances, des tracteurs et des voitures privées", écrit le Guardian (en anglais). Le bâtiment régional a été vidé, et des camions de déménagement ont été signalés à de nombreux endroits de la ville.
"Alors que les habitants de Kherson sont expulsés de force de leurs maisons, sous couvert d'évacuation, les officiers de l'armée et du FSB font ce qu'ils aiment le plus : cambrioler leurs maisons", a commenté Mykhailo Podolyak, conseiller présidentiel ukrainien.
Kiev veut reprendre Kherson avant l'hiver
Les jours s'éternisent, l'attente aussi. La contre-offensive ukrainienne, lancée à la toute fin du mois d'août, s'est pour le moment soldée par la reconquête de 1 200 km2 de territoire. Et fin octobre, l'armée ukrainienne affirmait avoir repris 90 localités dans la région. Les progrès sont toutefois plus lents, depuis plusieurs semaines. Le ministre de la Défense ukrainien, Oleksiy Reznikov, a notamment invoqué de fortes pluies transformant le sol en gadoue. Cette région agricole, a-t-il expliqué (en ukrainien), compte "de nombreux canaux d'irrigation que l'ennemi utilise comme tranchées".
Kiev, pour autant, maintient son ambition de reprendre la ville avant l'hiver. Dans un entretien au site The Drive (en anglais), Kyrylo Boudanov, chef de la Direction principale du renseignement du ministère de la Défense, évoque l'échéance de "la fin du mois de novembre". Selon lui, 40 000 soldats russes sont regroupés dans le secteur, que ce soit sur la rive occidentale (Kherson et les alentours) ou sur la rive orientale. Faute de pouvoir évacuer, Kherson pourrait alors se transformer en "chaudron" pour les troupes russes stationnées.
Le sort réservé au barrage de Kakhovka, 60 km plus au nord, fait également l'objet de nombreuses conjectures. Sa destruction aurait pour conséquence des inondations dévastatrices dans la région. Les autorités d'occupation affirment qu'un missile ukrainien a touché une écluse, dimanche, sans toutefois causer de dommages critiques sur l'infrastructure. Il y a deux semaines, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, avait accusé Moscou d'avoir "miné le barrage" afin de le faire sauter si besoin, en fonction des événements.
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